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Interviews


"Je suis très focalisé et déterminé, et c'est ce que tu dois être si tu veux avoir une carrière dans n'importe quoi..."  

Pour mon premier entretien avec De Palma, j'étais jeune, je passais le bac en devenant incidemment la star du lycée, je ne parlais pas suffisamment bien anglais (et De Palma avait décidé de ne pas me faciliter la tâche), et l'entretien sitôt terminé je regrettais, déjà, de ne pas avoir su lui poser des questions plus pertinentes, moins banales. J'espère donc que vous serez indulgents par rapport à la qualité... Il a eu la gentillesse de me dire que j'étais aussi bon que n'importe quel journaliste professionnel, pas sûr qu'en fin de compte c'était un compliment venant de lui qui déteste les interviews. Ses réponses sont cependant plus intéressantes que mes questions.
Sur Le Dahlia noir, il critiquait la production du film... alors que nous étions sur le plateau-même du film ! Il savait que j'allai publier mon article avant la fin de son tournage, je suppose qu'il savait ce qu'il faisait... Notre dernière rencontre est un moins bon souvenir. Ça avait bien commencé, il m'avait invité à dîner dans le restaurant de son hôtel parisien, hélas c'était pour parler de Redacted. Le film ne m'avait pas beaucoup plu, je lui mentais en lui assurant le contraire mais je pense qu'avec mes questions à côté de la plaque et la durée (très courte) de l'interview, il s'en est hélas rendu compte !
Bonne lecture.
Romain.

Femme Fatale, Paris, le 30 avril 2002:

ROMAIN. - C'est lorsque vous aviez 18 ans que vous vous êtes intéressé pour le cinéma. Quand avez-vous réalisé que le cinéma serait votre vie?  
BRIAN DE PALMA. - C'est le genre de choses que j'ai simplement continué à faire. Je suis très focalisé et déterminé, et c'est ce que tu dois être si tu veux avoir une carrière dans n'importe quoi. J'étais doué pour concevoir et construire des ordinateurs, j'avais plutôt réussi là-dedans. Et puis quand je suis arrivé à New York vers la fin des années 50, il y avait toute cette excitation au sujet de la Nouvelle Vague française, du cinéma européen, les Brits, les Italiens, les Indiens… nous les avions vus tous quand j'allais au lycée, à la Columbia. C'était devenu un nouveau centre d'intérêt pour moi puis en raison de mes capacités techniques. Je n'ai pas été intimidé par les caméras, et le fait de filmer des choses. Je tenais ça de mon intérêt scientifique. Ainsi, j'ai fait ça sans vraiment savoir vers quoi j'allais et j'ai juste continué.

RL. - Femme Fatale est votre premier film tourné en France. Comment s'est passée l'entente avec l'équipe française?
BDP. - Plutôt bien. J'ai déjà travaillé dans d'autres pays avant. Pour Mission: Impossible nous étions à Prague et à Londres, Obsession, nous étions en Italie, Furie, en Israël... Je suis habitué à travailler avec des équipes internationales. Paris a de très bonnes équipes, ils font beaucoup de films. Et par conséquent, les techniciens travaillent tout le temps. Tu es bien emmerdé quand tu entres dans des pays, ou des villes aux USA où ils ne font pas beaucoup de films, et où les personnes locales ne sont pas les meilleures. Mais je n'ai eu aucun problème ici. 

RL. - Lorsque vous avez écrit le scénario de Femme Fatale, pensiez-vous à un acteur particulier pour le rôle de Nicolas Bardo?  
BDP. - Pas vraiment. Dans le scénario original, c'était un écrivain qui rédigeait un livre sur l'ambassadeur. Et puis j'ai eu l'idée d'en faire un paparazzi qui prend une photo qui donne les renseignements aux méchants sur la fille, donc je n'ai pas vraiment eu quelqu'un en tête pour le rôle.

RL. - Il y a dans Femme Fatale beaucoup de vos techniques personnelles de mise en scène, notamment une utilisation du "split-screen" (écran partagé). Mais ce qui me surprend le plus, comme avec L'Esprit de Caïn, lorsqu'un acteur ou une actrice joue deux, trois ou quatre rôles, vous n'utilisez jamais les effets spéciaux. Pourquoi?     
BDP. - Je ne pense pas que cela soit nécessaire. On peut très bien filmer ça par points de vue, au-dessus des épaules... Deux fois le même acteur sur l'écran, parlant à lui-même, c'est un vieux gimmick qu'on a vu un million de fois. On sait qu'on peut le faire. On peut le faire en filmant d'une part, l'acteur regardant et parlant vers tel endroit, et puis filmer le même acteur qui regarde l'autre côté et répond... rien de surprenant à ça. C'est un vieil effet spécial. En plus, je pense que lorsque tu as le même acteur deux fois en même temps sur l'écran, tu peux étudier les différences entre les personnages. C'est mieux lorsque l'on a PAS deux fois l'acteur sur l'écran au même moment, alors on ne peut pas les comparer. 

RL. - Entre le moment de l'idée du film et celui où vous achevez le tournage, c'est difficile de réaliser ce qu'on a en tête? 
BDP. - C'est toujours la bagarre. C'est comme Truffaut l'a montré dans La Nuit Américaine. Tu as une idée dans la tête et tu dois faire en sorte d'y arriver avec les vraies choses, les vrais acteurs, les vrais endroits. Et si tu es rusé, tu t'arranges pour récupérer ce travail pour toi, tu joues avec les "incidents" -avec le climat, ou la façon dont l'acteur se sent, ou avec la pluie qui tombe brusquement sur le plateau... Tu fais en sorte que ça te serve. Au lieu de faire ce que tu as à l'esprit, tu fais avec ce qui est devant la caméra, avec ce qu'elle capture à cet instant, c'est ça que tu enregistres. C'est ce que tout le monde va se rappeler, et non une idée que tu as eues dans ta tête.    
 
RL. - Êtes-vous content du résultat final de Femme Fatale?
BDP. - Ouais j'aime ce film, je trouve qu'il y a beaucoup de fun. Il y a beaucoup de mes expériences à Paris. J'aime l'endroit, j'aime ses habitants. C'était pour moi une expérience joyeuse.


RL. - Parlez-moi de Rebecca Romijn-Stamos. C'est la révélation du film...
BDP. - C'est une fille d'une beauté époustouflante qui peut jouer. C'est très difficile à trouver, elle crève l'écran si fortement. Elle nous est venue au dernier moment après des mois, des mois, des mois de recherche à essayer d'obtenir la bonne combinaison de beauté, d'intelligence, de sexualité, de talent... tout cela en une seule fille. C'est une chose extrêmement difficile à trouver, et nous avons été bénis. C'est le genre de choses qui se produisent, qui viennent juste "comme ça", ça se produit et tu remercies Dieu que ça marche. Dans un film, lorsque que quelque chose ne marche pas, nous pouvons habituellement améliorer notre choix.

RL. - Je sais qu'avant d'engager Rebecca, vous désiriez Uma Thurman...     
BDP. - Oui. Uma fut la première personne que nous avons contacté.

RL. - Qu'est-ce qui s'est passé?
BDP. - Uma était intéressée, on en a parlé, et puis, il y a eu Kill Bill, elle ne pouvait pas faire les deux films en même temps, et elle est tombée enceinte. Maintenant elle tourne Kill Bill. J'ai eu ma première rencontre avec Uma dans un hôtel ici, à Paris, et j'ai pensé que cela allait être super, nous avions Uma et tous nos problèmes seraient résolus et puis... On a pris neuf mois pour essayer de trouver quelqu'un pour jouer ce rôle.     

RL. - Pour moi, il y a beaucoup de romantisme dans vos films. Je sais que certains ne pensent pas ça. On sait que l'impossibilité de sauver l'être aimé est un thème récurrent dans votre filmographie, et il y a dans Femme Fatale le personnage de Lily qui a perdu son mari et son enfant. En fait, vous êtes romantique...
BDP. - Oui, je pense que je le suis parce que j'aime la beauté, les choses qui sont belles. J'essaye de photographier les décors et les gens; je trouve que les filles ont un look stupéfiant. Je cherche des endroits aussi étranges qu'ils puissent être. Beaucoup de Parisiens m'ont dit qu'ils connaissaient des endroits surprenants à Paris. Ainsi, j'essaie d'obtenir pour n'importe quelle histoire des choses aussi frappantes et aussi belles que possible.    


RL. - Comme dans beaucoup de vos films, la musique a une place importante. Ici, le thème d'ouverture de Femme Fatale est basé sur le "Boléro" de Ravel. À part Ravel, quels compositeurs de musique classique appréciez-vous?      
BDP. - J'aime les compositeurs romantiques. Ravel, Debussy, Tchaïkovski, Wagner, Beethoven... Je connais parfaitement leurs musiques. Je les ai étudiés à l'université. J'avais l'habitude d'écouter leurs symphonies toute le temps, et j'ai une bonne connaissance de la musique classique.      

RL. - Ryuichi Sakamoto a composé la bande originale du film. Je sais qu'il ne fut pas votre premier choix...     
BDP. - Non, il ne l'était pas. J'ai d'abord voulu utiliser un compositeur français (Eric Serra), mais il s'est retrouvé impliqué dans Rollerball et ne pouvait pas vraiment être disponible. Je me suis tourné vers Patrick Doyle, mais il venait juste de finir une autre bande originale, et malgré son envie de travailler sur mon projet, c'était trop dur de le faire aussitôt après sa précédente composition. C'est un travail énorme à faire. Nous étions très chanceux que Sakamoto était disponible, et qu'il ait bien voulu faire la bande originale. C'est un grand défi pour un compositeur, parce qu'il y a tellement de musique à faire et que tu dois avoir tant d'idées. Ce n'est pas comme la plupart des films où la musique sert de fond, dissimulée par des accidents de voitures ou des explosions. Ici, la musique est importante. C'est un personnage à part entière dans le film et c'est beaucoup de travail.     

RL. - Au sujet des actrices, Natalie Portman qui est une actrice jolie, mystérieuse et qui est très douée, je pense qu'elle pourrait être une excellente actrice "DePalmienne". Qu'est-ce que vous pensez?
BDP : Je trouve qu'elle est une actrice très douée. Je la trouvais très bien dans le film de Luc Besson (Léon). Je la trouvais bien dans Star Wars. Je l'ai vu jouer dans plusieurs films. Elle "grandit" chaque jour. Elle est une jeune femme maintenant. Je serais ravi de lui faire travailler une scène afin de me rendre compte par moi-même quel est mon avis à son sujet. 

RL. - Home Movies est un curieux film que vous avez réalisé avec une équipe d'étudiants de l'université Sarah Lawrence. 
BDP. - Oui.

RL. - Aimeriez-vous refaire ce genre d'expérience, faire un film avec des étudiants?
BDP. - Non, cela prend trop de temps. C'est beaucoup de travail. Je veux dire, je l'ai fait pour offrir aux étudiants tout ce que j'ai acquis au Sarah Lawrence. J'ai eu un professeur très influent qui m'a beaucoup aidé à débuter, avec mon écriture "excessive". Nous avons fait notre premier film ensemble, ainsi c'était un endroit très influent pour moi, j'y ai passé beaucoup de temps... Je disais aux élèves: "Voyons si nous pouvons faire ça." Et ça prenait un temps fou (rires), c'était comme si on avait fait un grand film.

RL. - Que pensez-vous d'Internet?    
BDP. - Je trouve ça génial! Je trouve que c'est très efficace naturellement pour avoir toutes sortes d'informations, si tu en recherches particulièrement pour un scénario. Mais les personnes qui se consacrent à mes films, comme ton site et celui en Amérique, sont bourrés d'informations qui me sont utiles. Je veux dire, on sait tout ce qui se passe. Ils le rapportent, ainsi je ne dois pas avoir un service de presse pour me dire ce qui se produit. Ce ne sont pas seulement des gros fans, ce sont des gens très intelligents. Vos discussions sont extrêmement intéressantes. Et je crois, comme j'ai dit à tous les types des sites que j'ai rencontrés pour des entrevues données, que c'est là où nous vivrons finalement. Que nous vivrons sur le web. Nos films seront discutés et gardés en vie par des personnes comme toi-même qui trouvent les substances dedans, et consacrent leur temps et leur énergie pour créer ce site intéressant qui attire les gens. Et tu les mets au courant de ce qui s'est produit avec des films passés, présents, et si tout va bien les futurs.     
 
RL. - Irez-vous au festival du film à Montréal cette année?     
BDP : Je vais habituellement à ces festivals chaque année, quand je suis aux USA. J'y étais l'année dernière, j'y vois des tas de films. J'aime beaucoup Montréal, et je vais à Montréal et à Toronto chaque année quand je suis aux USA et que je ne travaille pas.      

RL. - Pourquoi ne venez-vous pas sur le forum anglais? Vos fans pourraient discuter avec vous...     
BDP. - C'est juste, à cause de tous les trucs que j'ai à faire quand les films sortent. Cela prend beaucoup de temps. Je sais que les personnes veulent poser toutes sortes de questions. Je n'essaie pas d'être mystérieux ou de m'éloigner des personnes. Ça n'a pas beaucoup d'intérêt que je parle moi-même, je deviens extrêmement ennuyeux après un moment. Tu sais, j'avais fait toutes sortes de choses pendant un long temps ici à Paris, en raison du livre, en raison de la rétrospective, et maintenant en raison de Femme Fatale. Et je vais devoir faire ça en plus aux États-Unis quand le film sortira, et tu te retrouve à répondre aux mêmes six questions à plusieurs reprises, encore et encore, et il devient tout à fait pénible pour toi, et les gens se demandent pourquoi untel ne voudrait pas être interviewé. Mais quand tu as été interviewé à mort, comme j'ai été... (rires) Je fais tous ces entretiens en espérant que cela fera la promotion du film.     

RL. - Que pensez-vous des nouveaux réalisateurs qui vous prennent pour modèle, comme David Fincher?     
BDP. - Je les trouve très doués. Tu sais, je les connais très bien. Panic Room a été écrit par un de mes amis, David Koepp. Je trouve que Fincher a fait un très bon travail. Il a de grandes qualités visuelles. Quiconque qui raconte des histoires avec des images est bon. Il n'y a pas bon nombre d'entre nous en désaccord là-dessus. Et j'ai bien aimé Fight Club aussi. J'ai trouvé que c'était un film très audacieux et je trouve qu'il a fait un travail prodigieux.     

Le Dahlia noir (plateau de tournage à Sofia, Bulgarie) le 23 mai 2005:

RL. - Le Dahlia Noir est une adaptation d'un roman de James Ellroy. Il y a dans cette histoire vos thèmes fétiches: suspense (c'est un thriller), l'idée du personnage principal devenant obsédé par son enquête, et bien sûr, le thème du double. Comment vous êtes-vous retrouvé engagé dans ce projet?     
BDP. - C'est venu d'Art Linson qui avait travaillé avec David Fincher pour Fight Club, et c'était un projet que Fincher était en train de faire. Mais ils n'ont jamais obtenu un scénario pour ça. Ils l'ont développé pendant des années, des années, des années... et ça n'allait pas mieux. Art était en quelque sorte convaincu qu'ils n'allaient pas faire le film, alors ils se sont finalement dit: "Allons-nous faire ce film ou non?" Et Fincher a répondu: "Non, ce n'est pas prêt!" Alors ils ont dit: "Cherchons après un autre réalisateur!" Et c'est comme ça que je me suis retrouvé sur ce film. J'avais lu le roman dans le milieu des années 90, je l'avais trouvé fantastique, mais très difficile à adapter au cinéma, à cause de la complexité de l'histoire et des retournements de situations.     

RL. - Une des choses que j'apprécie, c'est la crédibilité qu'Ellroy apporte à son histoire. C'est basé bien sûr sur des faits réels, mais avant tout c'est un roman fictionnel. J'aime le fait que l'histoire ne comporte pas de zones faibles, le genre de faiblesses qu'un auteur tente parfois de camoufler par le style quand son intrigue est mal bâtie. D'une certaine façon, c'était prêt pour être un film, avez-vous fait beaucoup de changements?      
BDP. - Tu dois simplifier le livre, il est très complexe tel quel, et Ellroy a placé plusieurs intrigues secondaires qui s'éloignent de l'histoire principale, ce qui se passe entre Bucky, et Lee, et Kay, entre eux. Et puis l'histoire de la famille corrompue des Spague mêlée au meurtre du dahlia. Et puis bien sûr, l'histoire du dahlia noir et pourquoi elle est si mémorable, et pourquoi nous la gardons toujours en mémoire. Ma théorie à propos du dahlia noir -et c'est quelque chose que j'essaie de mettre dans le scénario- c'est à cause des photos qui ont été prises à l'endroit où on a trouvé le corps, où elle était découpée et étalée: ce sont des images que tu vois une fois et que tu gardes alors en mémoire. Comment une fille qui cherchait à devenir actrice, luttant pour y parvenir, a pu finir comme ça?      


RL. - Je pense que vous êtes très doué pour trouver les bonnes personnes pour jouer dans vos films. Vous l'avez prouvé par le passé. Comment avez-vous choisi vos acteurs? C'est vous qui les avez choisi?    
BDP. - Oui... Josh (Hartnett) avait été engagé quand Fincher a voulu faire le film. Art Linson pensait que Josh était très bon pour le rôle, j'ai rencontré Josh et j'étais d'accord avec lui. Pour le reste du casting, nous nous décidions sur l'instant et nous sommes très chanceux de les avoir obtenus. Ce sont les meilleurs jeunes acteurs du moment. Tu sais, Scarlett (Johansson) et Hilary (Swank)... j'ai connu ces filles pendant beaucoup d'années. Ainsi, c'était une combinaison du fait que je pensais à elles dans ces rôles, et d'elles qui voulaient jouer ces personnages en particulier avec moi à la direction. Nous étions très chanceux, même pour Mia Kirshner qui joue le dahlia noir, qui est d'abord venue pour auditionner pour le rôle de Madeleine. J'aimais énormément, puis Hilary est arrivée. J'ai connu Hillary pendant des années, et j'ai toujours voulu qu'elle interprète un rôle de femme sexy qu'elle est. Elle ne l'a jamais fait auparavant, alors elle a sauté sur cette opportunité.  

RL. - Dans le roman, le personnage de Madeleine est très proche physiquement de Betty Short. J'étais surpris que vous n'avez pas choisi la même actrice pour jouer les deux rôles.     
BDP. - Le problème c'est qu'on a affaire avec une vraie personne, et c'est le mélange intéressant entre la vie réelle et l'histoire fictionnelle, et je pense que tu as donc à les séparer. Je ne pense pas qu'on puisse avoir la même actrice pour jouer les deux rôles -- la fictionnelle et la vraie. J'étais, comme je l'ai dit, très chanceux d'avoir eu Mia pour jouer le dahlia noir. Ce n'était pas un grand rôle, mais nous lui avons donné une plus grande importance parce que je voulais donner un personnage avec plus de consistance, que nous soyons plus impliqué dans la tragédie.     


RL. - J'ai dit que vous étiez très doué pour trouver les bons acteurs, pareillement pour l'équipe: vous savez vous entourer (Vilmos Zsigmond à la photographie, Dante Ferreti aux décors...). J'ai parlé un peu avec eux, ce sont des gens sympas et très professionnels. Ils savent ce qu'ils ont à faire...
BDP. - Et bien c'est une situation étrange car... personne ne voulait faire ce film parce qu'il est si bizarre, et si noir. C'est pourquoi il a attendu des années, des années... Nous pouvions augmenter le budget international, mais les problèmes augmentaient aussi parce que ça devenait un film très cher. On en était à une tranche de 40 à 45 millions de dollars, et c'est très cher pour un film complètement financé sans un distributeur américain. Mais on s'en tient à ça et le projet est tombé à l'eau plusieurs fois. Nous avions le financement et quelque chose arrivait, et nous perdions le financement, alors nous arrêtions, et recommencions, et arrêtions, et recommencions... Au final, nous sommes capables d'avoir suffisamment de personnes pour pouvoir financer le film, mais le genre de personnes qui le produisent sont des gens qui veulent faire un film chic, car ils ont l'habitude de produire des films de série-B, des films d'exploitations, tu sais...

[Le film a été produit par une vingtaine de petits producteurs effectivement peu habitués à des films de qualité, comme Avi Lerner ou Moshe Diamant, spécialiste des productions ringardes avec Van Damme ou Dolph Lundgren]

BDP. - Mais c'est leur chance de s'intensifier, de travailler sur de grands projets, alors évidemment ils veulent travailler avec nous. Le problème c'est que nous sommes attirés par les talents de haut niveau. Je veux dire, nous avons Dante Ferretti, Vilmos Zsigmond, Jenny Beavan. Ces gens sont, dans les départements principaux, les meilleurs qui soient dans leur travail, tu sais. Et ils sont venus pour le projet à cause du sujet et parce que je le réalise. Le problème c'est qu'ils travaillent dans une structure entière, qui n'est pas habituelle pour ce niveau d'excellence... Les gens n'ont pas l'habitude de ce genre de travail basé sur l'esthétique. Tu sais, je passais l'autre jour, je regardais la coiffure d'un cascadeur, et... il est brun. Et j'ai dit: "C'est supposé être la coupe d'Aaron [Eckhart]!... Tu sais, il est BLOND. Quand tu filmes un cascadeur en action, tu t'arranges pour le filmer de dos, de façon à ne pas voir son visage, et le type qui joue à la place d'Aaron est brun... et tu n'as pas trouvé un moyen d'en faire un blond?..." Je veux dire, c'est le genre de choses qui arrivent tout le temps. Quand par exemple on fait sauter un vase ou un chandelier, et qu'on dit: "Une autre prise!" Et qu'eux rétorquent: "Mais... on en avait qu'un." Alors tu dis: "Vous pensiez qu'on allait faire qu'une seule prise?? On en fait cinq ou peut-être même dix!!" Et il y a toutes ces façons d'essayer d'économiser l'argent, ce qui finalement leur coûte beaucoup plus cher. Tu as donc ces querelles qui vont et viennent, entre les professionnels du premier niveau, et ceux qui sont d'un groupe inférieur. On s'inquiète vraiment de la façon dont sont faites les choses. Alors ç'a été une lutte et pas besoin de dire qu'occasionnellement, il y a eu quelques disputes...    

RL. - J'ai appris que vous avez choisi James Horner pour la musique du film?    
BDP. - Oui.     

RL. - C'est un choix surprenant car vous n'avez jamais travaillé avec lui auparavant. Pourquoi lui?     
BDP. - Parce que c'est un des meilleurs compositeurs à Hollywood aujourd'hui! Tu sais, je vais sur mon site web et je vois que tout le monde est horrifié que j'ai pris James Horner pour faire la musique! Il a tout de même fait la musique de Né un 4 juillet... 

[J'ai un moment de doute à cet instant... Je sais que James Horner n'a PAS fait la musique de Né un 4 juillet et qu'il s'agit en réalité de John Williams. Mais je n'ose pas intervenir. Car lorsqu'on se trouve à côté de Brian De Palma qui vous assure que James Horner a fait la musique de Né un 4 juillet, alors oui, on doute sérieusement et on passe à autre chose.]

RL. - Heu... Horner a fait la musique d'Aliens de James Cameron... et aussi celle des Experts - le film avec Robert Redford...
BDP. - Les Experts, bien sûr!... J'ai utilisé beaucoup de ses titres pour illustrer mes films, et j'ai toujours voulu travaillé avec lui. Il n'a jamais vraiment fait de film sombre et morose comme celui-ci. Alors il est excité de le faire et aussi très excité de le faire avec moi car il sait l'importance que j'accorde à la musique dans mes films.

 Avec Ennio Morricone sur Les Incorruptibles.

RL. - Le plupart de vos fans attendaient quelqu'un comme Ennio Morricone à cause de sa superbe partition pour Les Incorruptibles...     
BDP. - Oui mais j'ai toujours aimé travailler avec d'autres musiciens, et c'est très passionnant pour moi finalement, d'avoir un film qu'un compositeur veut faire.     

[Finalement, le compositeur de la bande originale du film fut Mark Isham. Je suppose qu'entretemps Brian De Palma s'est renseigné sur la bande originale de Né un 4 juillet.]

RL. - Je regarde les moniteurs, et je vois qu'il y a ici un travail assez... "expressionniste"... 
BDP. - C'est juste le style. Je veux dire, j'ai travaillé avec Vilmos [Zsigmond] pour plusieurs de mes films. Et, tu as une certaine manière de faire des films, et une certaine façon d'éclairer les scènes. Cela devient ton style en tant que réalisateur. Je suis très conscient de la façon dont les choses ont à être filmées et de la place de la caméra, et c'est cela que tu remarques dans mes films. Alors c'est une combinaison de choses qui font ressortir les images à l'écran.     

RL. - Une chose qui m'est fatigante, c'est de lire certains articles dans la presse qui souillent les films avant leur sortie en inventant des fausses accusations... [un journaliste de FoxNews avait créé la polémique au sujet de soi-disant scènes lesbiennes avec des mineures, qui fut vite démentie] Récemment, avant même le début du tournage du Dahlia Noir, il y a eu une controverse par un journaliste de FoxNews...    
BDP. - Ah oui. Exact. A propos de filles mineures.

RL. - Oui. Comment réagissez-vous face à ce genre de choses?    
BDP. - Oh, j'y suis habitué, j'ai vécu avec ça durant des années et ce n'est pas... C'est ridicule. Et c'est devenu de pire en pire après les années 70, l'Amérique devenant plus conservatrice, avec tu sais, ce président très croyant que nous avons. Mais tout ça est simplement ABSURDE. Donc je n'ai jamais vraiment prêté attention à ça. Tu fais ce que tu crois être correct, et tu vois. Quand j'ai fait Scarface, on a tiré à boulets rouges sur moi, ils étaient si offensés par le film. Aujourd'hui ils le trouvent très bon. Alors, qui sait! 

Redacted, Paris, le 1er février 2008:

RL. - Comment vous avez eu l'idée de faire Redacted?
BDP. - J'étais en train de donner une conférence à un parterre de jeunes réalisateurs lors du festival du Film de Toronto, lorsque qu'une personne de HDNet m'aborda et de dit: "Seriez-vous intéressé pour réaliser un film en haute définition? Nous vous donnons un budget de 5 millions de dollars, et vous en faites ce que vous voulez, sans aucune restriction." Je me suis dit que c'était une idée intéressante, de trouver une idée qui fonctionnerait mieux en haute définition. C'est alors que j'ai lu un article sur le viol et le meurtre de cette jeune Irakienne innocente, ce qui bien entendu me rappela Outrages. Et je me suis dit: "Ça arrive à nouveau, nous reproduisons en Irak ce qui s'est déjà passé au Vietnam." J'avais donc à trouver le moyen de raconter une nouvelle fois cette histoire. Quand je me suis documenté sur Internet sur cet incident, j'ai découvert tous ces moyens uniques de raconter une histoire, moyens complètement novateurs grâce à Internet, que ce soit à travers les blogs, les montages d'images de victimes de guerre, les sites des femmes de soldats, ou simplement les discours passionnés de personnes qui sentaient que ce que ces types avaient fait était terrible et qu'ils devaient être punis. Et je me suis dit: "Voila, c'est la bonne manière de raconter cette histoire", parce que c'est une manière totalement propre à l'Internet.
 

RL. - Quels sont les avantages et les inconvénients de la HD ?     
BDP. - Je dirais que le seul problème que nous ayons eu en faisant ce film, est que certaines de ces caméras enregistrent sur des cartes mémoires. Le problème est que si tu enregistres quelque chose et que si par erreur tu réenregistre par-dessus, cela efface ce qui s'y trouvait auparavant. C'est le grand danger de la HD, ce qui est effacé ne peut être récupéré. À l'inverse d'un film, où il y a toujours un négatif. En HD, si quelqu'un fait une erreur, ce qui est effacé disparaît pour toujours. Et c'est ce qui nous est arrivé.

RL. - C'est arrivé ?      
BDP. - Eh bien, Eric avait filmé cette scène sur les fourmis et le scorpion, il a finalement du retourner les plans, qui avaient été effacés. Ça nous a fait une sacrée peur. Ceci dit, je trouve la HD tout à fait étonnante. La résolution comme la qualité se sont tellement améliorés avec les années, c'est ça que je trouve tout à fait étonnant. Par exemple, quand Eric a tourné les plans au barrage en filmant en plans larges, normalement en HD la qualité se dégrade quand on tourne des plans comme ça, et finalement ils sont d'une qualité fabuleuse. Nous avons utilisé une caméra absolument énorme. Eric a dû utiliser cette énorme caméra pour tourner ces plans. Et j'ai utilisé une caméra de taille bien plus raisonnable pour les scènes du journal de Salazar et les scènes d'interrogatoire, ainsi que les scènes où les camions vont et viennent entre les baraquements.     
 
RL. - Il n'y a pas de grande star à l'affiche de Redacted. Comment avez-vous trouvé vos acteurs?  
BDP. - C'est un problème que j'avais rencontré il y a longtemps quand j'ai fait Hi Mom! (Les nuits de New-York) et que j'avais dû constituer la troupe entière d'acteurs noirs pour le happening "Be Black Baby" que personne n'avait jamais vu avant, parce que l'on devait penser qu'il s'agissait d'un documentaire. Tu ne devais pas te douter qu'il s'agissait d'acteurs jouant un rôle. Donc j'ai repris à peu près la même démarche. Heureusement, ils étaient jeunes, la patrouille devait être constituée de jeunes. Donc nous avons trouvé plein de comédiens qui n'étaient jamais apparus à la télévision ou dans des films, et dont ou pourrait penser qu'il s'agirait de véritables soldats.

  
RL. - Avez-vous filmé certains plans vous-même? Certains réalisateurs sont leur propre opérateur sur quelques-uns de leurs films. Dans une des premières scènes, Salazar se filme dans le miroir et au début, j'ai pensé que la véritable caméra était la sienne, qui est vraiment minuscule. En fait, je crois que la véritable caméra était à côté de l'acteur... 
BDP. - Oui, c'est cela. Je n'ai jamais filmé moi-même, mais dans cette scène Salazar filme Mc Coy, qui filme Salazar. 

RL. - Juste avant de voir le film, je craignais d'être déçu par votre premier film en HD. Par le fait que je n'y retrouverai aucun élément caractérisant votre style. Puis en fait, non, c'était même très étrange de retrouver votre style dans une nouvelle façon de filmer, et c'est passionnant de vous voir adopter une nouvelle forme de langage cinématographique. 
Quant au sujet de la guerre actuelle, peut-être que les spectateurs comprennent des choses grâce au film, des choses qu'ils ne savaient pas?     
BDP. - Tu sais, le film, à chaque fois que je le montre, et que je regarde le public à la fin, je le vois choqué. La salle est choquée. Ils ne savent pas quoi dire. Et c'est plutôt inhabituel au cinéma. Et parfois ils n'ont pas l'air choqués mais se mettent en colère au sujet du film, et parfois ils sont émus par le film. Ils n'arrivent pas à rationaliser l'expérience, ce qui est à mon avis, le signe d'une des meilleures expériences de cinéma possible, quand tu ne trouves pas tes mots. Tu as été transporté quelque part, et vous ne savez pas exactement comment parler de cela, parce que tu dois analyser tes sentiments et comprendre comment tu as été amené à les ressentir, comment le film t'a amené à les ressentir. C'est toujours la réaction que j'ai constaté avec Redacted, et c'est difficile de réaliser un film qui produise un tel impact sur son public. Tu sais, tu n'es jamais sûr de cet impact avant d'être confronté à la véritable réaction du public.     

RL. - Beaucoup de personnes ont cependant critiqué le film. C'est difficile de réaliser un film: vous devez d'abord trouver des investisseurs, puis des acteurs... c'est un long processus. Et après ça, de nombreuses personnes n'aiment pas le film. Comment trouvez-vous l'énergie de faire un nouveau  film après de telles réactions?
BDP. - J'ai le sentiment, vois-tu, qu'ils ne le comprennent pas au début, ou qu'ils disent à son sujet toutes sortes de choses qui ne veulent rien dire pour moi; je trouve que c'est ce en quoi je crois qui est vrai, qui a du sens pour moi. Et j'ai fait beaucoup de films qui, à leur sortie, ont été critiqués pour tout un tas de raisons, et plusieurs années après, les gens se disaient : "Eh, attends un peu. Il y a quelque chose que j'ai loupé la première fois." J'ai moi-même eu la même réaction avec des films qui m'ont rebuté au premier abord, mais j'avais tort. Je me rappelle ma première vision de Barry Lyndon, je n'avais pas aimé. Ces zooms arrière, cette musique lente, je n'arrivais pas à comprendre où Kubrick voulait en venir. Et des années plus tard, c'est devenu l'un de mes films favoris. Donc, parfois il faut s'impliquer et faire son éducation pour comprendre un film. Parfois il faut du temps pour comprendre l'artiste. Il est là à faire une œuvre que le public ne comprendra que des années plus tard. Et c'est certainement le cas pour ce film. Ils ne savent pas comment rationaliser ce qu'ils ressentent à son propos. Et comme la forme dans laquelle il est proposé est nouvelle et largement expérimentale, ils font: "Wow, qu'est ce que c'est que ce truc? Je n'aime pas! C'est mauvais, les acteurs surjouent, ça ne rime à rien. C'est fragmenté." Tu vois, ils font l'inventaire des reproches possibles. Et c'est juste parce qu'ils ne l'ont pas encore vraiment digéré. Je suis certain que la même chose est arrivée la première fois que le public a vu des œuvres cubistes. Ils ont fait: "C'est quoi ce truc? De la peinture abstraite." Ils ont fait: "Mais, ça ne ressemble pas à un paysage. Ça ne ressemble pas à une vache, ce qu'il a peint. Pourquoi est-ce que ça a cet aspect bizarre?" Je crois que c'est le cas aujourd'hui…    

RL. - Après la guerre, peut-être que des gens qui n'aimaient pas le film le comprendront mieux…   Est-ce plus facile de faire un film aujourd'hui que ça ne l'était dans les années 70, en termes financier ou dans d'autres domaines?     
BDP. - Ça a été ici une situation très particulière. Tu vois, ils m'ont simplement donné l'argent en me disant d'en faire ce que je voulais. Mon problème a été, et je n'ai pas arrêté de le demander à mes producteurs, "Pouvons-nous faire ceci pour 5 millions? Dites-le moi, parce que si nous ne pouvons pas, nous ferions mieux d'arrêter tout de suite." Et eux, qui avaient déjà fait des films peu chers au Canada, m'ont dit de ne pas m'en faire, qu'ils avaient assez d'argent pour le faire. Donc je m'en suis entièrement remis à eux.     

RL. - Je sais que vous vouliez faire un film sur la vie d'Howard Hugues...
BDP. - Qui?

[Il fait mine de ne pas me comprendre avec mon accent français. Je repose la question, il ne comprend toujours pas. Je sors un stylo et une feuille pour l'écrire, et là, voyant que je ne lâche pas le morceau, il comprend brusquement.]

BDP. - Ah, Howard Hugues!

RL. - Oui! Vous vouliez faire un film sur la vie d'Howard Hugues. Et puis il y eu ce film de Martin Scorsese.     
BDP. - Ouais, Aviator...
[Il lève les yeux au ciel.]

RL. - Vous l'avez aimé?     
BDP. - [Un instant.] Je l'ai trouvé très habilement réalisé. Mais nous avions une histoire complètement différente.    

RL. - Ce n'est pas fini, vous pouvez toujours faire le vôtre...
BDP. - Je pense que c'est complètement fini. Tu sais, ce sont des films à gros budgets à faire, et qui se déroulent à une certaine période. On avait de très bonnes idées, mais deux films ont été faits sur la vie d'Howard Hugues: The Hoax, sur Clifford Irving et son travail sur la biographie, et le film de Marty, Aviator. Donc je pense que le sujet est passé. David Keopp et moi même avions développé une très bonne histoire et Nicolas cage était supposé jouer. Mais on n'a jamais réussi à aboutir à quelque chose, et à présent, c'est fini.
 
RL. - Est-ce difficile de faire des films à présent, parce qu'en Amérique beaucoup de personnes critiquent votre dernier film?     
BDP. - Ça dépend. Si le film marche mieux ici, je ne pense pas que cela fera la moindre différence. Les films, tu peux en faire suffisamment bon marché. J'essaie toujours de monter la préquel aux Incorruptibles (Capone Rising) et à réunir le casting. C'est toujours en cours. Et puis il y a aussi Blue Afternoon, où j'essaie aussi de réunir le casting. Le livre de William Boyd. Et puis j'ai encore d'autres projets en cours. Voilà c'est à peu près ça en ce moment.

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